François Bougon – Le Monde
L’Etat australien de Victoria a obtenu ce que peu de régimes, à part les dictatures, n’avaient réussi à imposer : un silence quasi total sur un événement impliquant une personnalité de premier plan. Les Australiens n’ont pas eu le droit d’entendre parler du verdict concernant les procédures judiciaires qui visent le cardinal George Pell pour des dossiers d’agression sexuelle sur mineur. L’argentier du Vatican, âgé de 77 ans, le plus haut représentant de la curie romaine jugé pour des faits d’agression sexuelle sur des mineurs, a été pourtant reconnu coupable par un jury, mardi 11 décembre. Les médias n’ont pas pu en rendre compte.
Le 25 juin, le tribunal de Melbourne, devant lequel il a comparu, avait émis une ordonnance qui interdit, sous peine de prison, « toute couverture, totale ou partielle, de la procédure et de publier toute information découlant de la procédure ou tout document judiciaire relatif à la procédure ». Pour justifier cette mesure, le parquet a évoqué l’énorme retentissement de l’affaire et « le risque très réel et substantiel de porter atteinte à la bonne administration de la justice ». Le prélat étant jugé au cours de deux procès distincts, il existe également une crainte que le verdict du premier ait une incidence sur l’issue du second qui doit se dérouler à partir de février 2019. La décision connue, les médias pourront cette fois en donner les détails. Dans l’Etat du Victoria, ce type d’ordonnance est courant, à tel point que plus de la moitié des décisions intimant le silence à la presse émanent, sur l’île-continent, de ses tribunaux.
Le 13 décembre, le quotidien de Melbourne, Herald Sun, a barré sa « une » d’un « Censuré » en lettres capitales, sur fond noir. Le Daily Telegraph, à Sydney, a titré : « Un crime horrible. La personne est coupable. Il se peut que vous ayez déjà lu l’information en ligne. Malgré tout, nous ne pouvons pas la publier. » Le lendemain, plusieurs organismes de presse locaux ont réclamé la levée de cette mesure, mais leur demande a été rejetée par la justice et incluse dans l’ordonnance, dont il est interdit de révéler l’existence.