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Ziad Majed : « Contrairement à son père, Bachar el-Assad n’a aucune limite »

Ziad Majed : « Contrairement à son père, Bachar el-Assad n’a aucune limite »
Ziad Majed : « Contrairement à son père, Bachar el-Assad n’a aucune limite »

Propos recueillis par Caroline HAYEK | OLJ

 

Certains personnages n’ont plus besoin d’être présentés. Bachar el-Assad est de ceux-là. Cela dit, la personnalité du dirigeant syrien est rarement analysée pour comprendre le chaos actuel et le déferlement de violence, en Syrie, depuis 2011. Trois fins connaisseurs de la Syrie, Subhi Hadidi, éditorialiste au quotidien al-Quds al-Arabi et critique littéraire, Ziad Majed, politologue et professeur à l’Université américaine de Paris, et Farouk Mardam Bey, directeur du département Sindbad chez Actes Sud, ont remédié à cela en brossant le portrait du président syrien et en disséquant la nature du régime dont il a hérité dans l’ouvrage intitulé Dans la tête de Bachar el-Assad (Actes Sud). De passage à Beyrouth à l’occasion du Salon du livre francophone, Ziad Majed a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour.

Quelle est la particularité de Bachar el-Assad par rapport aux autres dictateurs de la région ?

On peut comparer cette dynastie au régime de Saddam Hussein en Irak, ou à celui de Kadhafi en Libye, sauf que dans les deux cas il n’y a pas eu de prolongation avec une deuxième génération. Cependant, il y a des traits communs comme le clan, la famille, le parti unique dans le cas irakien et un aspect totalitaire comme dans le cas libyen. Mais ce qui fait la spécificité syrienne, ce sont les articulations entre le pouvoir et le système, entre famille, clan, confession, région et parti Baas. Cela est présent au niveau des institutions sécuritaires, de certaines divisions de l’armée, mais également au niveau du territoire. Sous Hafez el-Assad, il y avait un travail encore plus détaillé au niveau du clan, afin de mieux souder les liens et créer la dynamique de la ’assabiya (esprit de corps). Bachar a hérité de cette toile d’araignée minutieusement tissée par le père, sauf qu’il n’a de légitimité ni militaire ni baassiste. À son arrivée au pouvoir, l’entourage de son père va être mis à l’écart, afin d’être remplacé par une nouvelle génération, dont celle de son frère cadet, de ses cousins maternels et paternels, ainsi que d’autres personnages qui composent l’appareil sécuritaire actuel. La relation entre le régime et le parti Baas va changer pour ne devenir qu’une relation de façade, puisque la majorité de ceux qui occupent aujourd’hui des postes-clefs ne sont plus des notables baassistes. Bachar va privatiser l’économie, diminuer les budgets sociaux, de l’agriculture et de l’industrie, ce qui va profiter à une nouvelle bourgeoisie, proche de la famille. Un autre point doit être souligné pour comprendre la nature de ce régime : la philosophie de la violence en Syrie. Elle avait commencé sous le père, à travers l’institution carcérale, avec comme objectif de tuer, de briser des vies ou d’envoyer un message afin de terroriser la société. Mais cette philosophie s’est développée sous Bachar, dans l’idée de transformer la Syrie en un pays de fantômes et d’inscrire cette idée de violence dans la mémoire des gens. C’est un système qui considère que la violence est sa première politique.

Comment le président syrien a-t-il façonné son image lors de son entrée en fonction d’abord, puis depuis le début de la révolution en 2011 ?

Après la mort de son frère Bassel (désigné comme le successeur de Hafez avant son accident mortel en 1994), Bachar s’est trouvé face à un dilemme. Il voulait préserver l’héritage de son père, il avait d’ailleurs dit à ses funérailles qu’il gouvernerait de sa tombe. Mais en même temps, il souhaitait une rupture, il voulait en quelque sorte « tuer le père ». On a d’ailleurs eu certaines informations qui laissent à croire qu’il était plus près de sa mère que de son père. Il voulait montrer qu’il avait une personnalité propre, que ses problèmes de confiance en soi n’avaient pas lieu d’être. Il a essayé de se construire une image qui est à la fois une perpétuation du système, qui a recours à la violence à tout moment, mais en même temps, il voulait apparaître, aux yeux des Occidentaux comme à une partie de la société syrienne, comme un modernisateur, un homme de progrès. L’image de son épouse va être utilisée pour y parvenir. Il va voyager, autoriser internet, s’entourer de jeunes conseillers occidentalisés en rupture avec les conseillers à moustache et aux costumes soviétiques du père. Il va profiter de la vague en Occident qui le voit comme un jeune ayant étudié à Londres, capable de moderniser le pays. Mais la violence va exploser bien avant 2011 : lors du printemps de Damas, puis en 2005 en réprimant dans le sang un soulèvement kurde, en 2005-2006, les arrestations des signataires de la déclaration de Damas, puis tous les assassinats au Liban. Sauf que Bachar n’avait pas la même habileté et ne faisait pas face au même contexte international que son père. Le régime va toutefois rester séduisant pour une partie de l’extrême gauche qui croit à sa rhétorique anti-impérialiste, mais aussi pour l’extrême droite qui l’aime bien car il tape sur des indigènes, sur les femmes voilées et les barbus qui ressemblent aux immigrés qu’ils ne veulent pas chez eux. C’est pour cela qu’on trouve son portrait chez les suprématistes blancs américains.

Quelles sont les ressemblances et les différences avec son père ?

Entre 1997 et 2011, il y a eu des moments où on sentait que Bachar voulait se montrer différent, ce qui lui a d’ailleurs causé des problèmes. La libéralisation de l’économie, initiée par le père à la fin de l’Union soviétique, va prendre avec lui une dimension très importante qui va profiter à ses proches, notamment à son cousin Rami Makhlouf. Des changements de façade vont s’opérer, mais les mentalités vont rester les mêmes et ce sont les classes moyennes et pauvres qui vont en payer le prix. À chaque fois que Bachar évoquait la corruption du pays, on lui rappelait qu’il ne fallait pas trop le faire car c’était remettre en question toute l’ère de son père. Sauf que depuis son entrée au pouvoir, la corruption est devenue colossale. Au niveau de la violence, on disait que Hama ne pouvait pas se répéter, sauf que Bachar a réussi à faire plusieurs Hama. Il y a une ressemblance avec le père dans cette capacité à utiliser une violence inouïe et un instinct de survie pour parvenir à s’imposer. Cependant, il n’a pas la même habileté que son père. Il n’a pas la possibilité de faire des compromis comme avait pu le faire Hafez. Le père savait, au Liban parfois, quelles étaient les limites à ne pas franchir. Or, Bachar n’en a aucune. Il y a un sentiment d’impunité, une arrogance qui découle probablement de son inexpérience politique qui lui a fait franchir toutes les limites possibles.

Bachar el-Assad a-t-il développé un complexe par rapport à son père ou son frère Bassel ?

Tous ses proches ont une carrière militaire derrière eux, mais pas lui. Donc il a certainement voulu prouver qu’il était capable d’encore plus de violence qu’eux. Certains de ses chabbiha disaient que Hama avait éduqué les Syriens pour 30 ans et que cette fois ils allaient les éduquer pour 100 ans !

Il y a chez Assad cette idée d’éternité, comme chez le père : « Assad ila el-abad » (Assad pour toujours, NDLR). Donc perdre tout cela c’est une blessure terrible, pas seulement pour son propre ego, mais également pour le legs familial qu’il espère peut-être pouvoir passer à son fils, le jeune Hafez. Puisqu’on ne le prenait pas au sérieux, comparé au père, il a voulu montrer qu’il était encore plus déterminé, encore plus féroce que Hafez, que le frère Bassel à qui on faisait plein d’éloges.

Il y a toujours eu plein de statues de Hafez, mais pas de Bachar, lui c’est plutôt des portraits, comme s’il y avait une certaine rivalité. Ce n’est pas étonnant d’ailleurs que la première chose que le régime ait rétabli, par exemple à Deir ez-Zor, ce sont les statues de Hafez que les manifestants avaient détruites. Il s’agit de montrer que les murs de la peur sont en train d’émerger de nouveau et que le caractère éternel est toujours présent.

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