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La mobilisation citoyenne pour le climat prend racine

La mobilisation citoyenne pour le climat prend racine
La mobilisation citoyenne pour le climat prend racine

Audrey Garric – Le monde

Ils veulent y croire : si les caméras sont braquées ailleurs, l’élan pour le climat est toujours là. Ce sursaut citoyen, ce foisonnement d’initiatives, cet engouement collectif, quelle que soit la façon dont ils le désignent, ne se laissera pas éclipser par les « gilets jaunes ». Samedi 8 décembre, les organisateurs des marches pour le climat l’espèrent, les rues de Paris et de 175 villes de France vont vibrer sous les appels à lutter contre le changement climatique ainsi que pour plus de justice sociale. Deux mouvements spontanés, horizontaux et nés sur Facebook, qui tenteront de partager le pavé.

« On cherche comment expliquer que l’on se bat pour une meilleure répartition des richesses afin de résoudre à la fois la crise climatique et sociale, avance Elliot Lepers, l’un des organisateurs. Mais il n’est pas évident d’être entendus car les “gilets jaunes” apparaissent comme un mouvement du peuple tandis que le discours écologiste semble toujours venir des élites. »

C’est pourtant bien de la base qu’a émergé un nouveau type de mobilisation en faveur du climat, la volonté d’agir rapidement, de manière autonome, sans attendre les dirigeants ni passer par les corps intermédiaires – associations, syndicats ou partis politiques. Après un été marqué par une série de catastrophes climatiques et par la démission fracassante de Nicolas Hulot du ministère de la transition écologique et solidaire, Maxime Lelong, un entrepreneur de 27 ans qui n’avait jusque-là jamais manifesté, lance sur Facebook un événement au succès inattendu : un appel à marcher pour le climat, le 8 septembre. Près de 130 000 personnes seront au rendez-vous, selon les organisateurs, en dehors des cercles militants traditionnels.

Nouvelle onde de choc début octobre avec le rapport du GIEC enjoignant à des transformations « sans précédent » de la société pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. De nouveau, 130 000 manifestants défilent partout en France, le 13 octobre.

« Les ONG écologistes nous ont aidés pour l’organisation, mais à l’origine, il y a un rejet des structures existantes. Beaucoup de citoyens pensent que les associations sont inefficaces ou s’interrogent sur leur financement », explique Maxime Lelong. « De plus en plus de gens veulent agir directement, inventer d’autres moyens de se faire entendre et peser sur la politique, que ce soit par des marches, des lobbys citoyens ou de la désobéissance civile », confirme Romain Slitine, maître de conférences en innovation sociale à Sciences Po et auteur du Coup d’Etat citoyen (La Découverte, 2016).

Des Youtubeurs relèvent des défis

Pour inciter à l’action individuelle, le collectif Il est encore temps propose des actions concrètes pour la protection de l’environnement (manger moins de viande ou s’inscrire à une formation de désobéissance civile). La vidéo de lancement, présentée par une vingtaine de Youtubeurs, a déjà été visionnée plus de 10 millions de fois, tandis que le site enregistre 170 000 inscrits par mail.

Il y a aussi On est prêt, une campagne d’un mois, du 15 novembre au 15 décembre, lors de laquelle près de 80 Youtubeurs relèvent des défis pour réduire leur impact écologique (devenir zéro déchet, aller dans une banque qui ne finance pas les projets fossiles, etc.), et à laquelle 300 000 personnes se sont abonnées sur les réseaux sociaux. Ou encore le site Ça commence par moi, créé par Julien Vidal, un Grenoblois d’origine qui a décidé de réaliser chaque jour, pendant un an, un nouveau geste écologique.

Si ces mouvements sont spontanés, ils ont également été portés par des professionnels de la mobilisation et du récit, dont la force réside tant dans les idées et la créativité, que dans un épais carnet d’adresses. « On a besoin de fraîcheur et d’inventivité pour parler d’écologie et de climat, avec de nouveaux messagers, qui ont de l’influence », explique Magali Payen, la fondatrice d’On est prêt. La jeune femme de 33 ans, passée par le cinéma et la télévision, a réussi à convaincre de la rejoindre des célébrités comme Norman, EnjoyPhoenix ou Natoo, qui rassemblent plusieurs dizaines de millions d’abonnés, la plupart très jeunes. « Ils savent vulgariser des sujets complexes. Et leur prise de conscience écologique est récente, de sorte que lorsqu’ils expliquent leur transformation en cours, leur audience peut plus facilement s’identifier », poursuit-elle.

Une prise de parole parfois risquée pour des Youtubeurs habitués à contrôler leur image. « Certains, comme Norman, ont hésité car ils ont eu peur que leur communauté leur reproche leur mode de vie, le fait de prendre souvent l’avion ou de profiter de la pub, précise Elliot Lepers, à l’initiative, avec d’autres, de la campagne Il est encore temps et fondateur du Mouvement, une ONG de mobilisation citoyenne. On leur a demandé d’assumer leurs contradictions et leur procrastination, celles de tout le monde. »

Cette crainte, l’humoriste Swann Périssé, qui rassemble 320 000 abonnés sur sa chaîne YouTube, l’a ressentie avant de se lancer dans la campagne On est prêt. « Ma ligne éditoriale, c’est de faire marrer les gens. Je ne voulais pas les culpabiliser ou leur délivrer un message anxiogène en parlant d’environnement », reconnaît-elle. « Maintenant, je suis à l’aise et l’écologie est un vrai engagement dans ma vie », affirme celle qui est devenue végétarienne en janvier et qui est engagée dans la démarche zéro déchet. En se montrant, dans ses vidéos, « faire des courses avec [s]es sacs » ou « galérer sans démêlant à cheveux », Swann Périssé affirme avoir « sensibilisé et motivé certains de [s]es abonnés de manière douce, fun et accessible ».

Remporter des victoires politiques

« On a besoin de ce pluralisme de voix pour parler à tous, assure Victor Vauquois, de la chaîne YouTube Partager c’est sympa (45 000 abonnés), qui a coordonné la campagne Il est encore temps. On est en train de créer une initiative inédite, faisant intervenir des citoyens, des Youtubeurs, des ONG et différentes personnalités pour peser plus fort et remporter des victoires politiques qui nous renforcent tous. » Un travail mené avec Cyril Dion, auteur-réalisateur, notamment du documentaire Demain (avec Mélanie Laurent, en 2015), qui défend l’idée d’un lobby citoyen. Et avec les réseaux militants plus traditionnels, Les Amis de la Terre, Greenpeace, Attac, Alternatiba, ANV-COP21 ou 350.org.

« On a tous intérêt à travailler ensemble. Les ONG peuvent apporter l’expertise, le savoir-faire en termes d’action de désobéissance civile ou la connaissance du plaidoyer politique auprès des décideurs, estime Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France. Eux savent mobiliser les gens pour descendre dans la rue. »

Mais comme pour les « gilets jaunes », l’organisation horizontale complique toute velléité de structuration. Le Collectif citoyen pour le climat, créé sur Facebook à la suite de la marche du 8 septembre, qui rassemble 70 000 membres, pâtit de divergences de points de vue pour trancher s’il faut s’allier ou pas avec les ONG, converger ou non avec les « gilets jaunes », etc.

« Ce n’est pas à celui qui parle le plus fort comme lors de Nuit debout, mais à celui qui sera connecté le plus longtemps sur la page, parfois pendant seize heures par jour, pour imposer son point de vue. Cela décourage beaucoup de gens de bonne volonté », regrette Maxime Lelong, qui affirme « prendre du recul ». « Comme Cyril Dion ou Attac, je réfléchis à comment gagner des victoires politiques avec les “gilets jaunes”, comme sur la taxation du kérosène des multinationales et des compagnies aériennes », glisse-t-il. Pour que le sursaut citoyen, qu’il soit jaune ou vert, ne retombe pas.

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