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En Tunisie, les villageois déstabilisés par la guerre contre les djihadistes

Frédéric Bobin – Le Monde

La villageoise a exhibé son pied, os déglingué sous une chair couturée. Hasniya Hellali, 70 ans, aurait bien pu la perdre, sa jambe droite, soufflée par la bombe artisanale, si elle n’avait ce jour-là – c’était il y a deux ans – enfourché l’ânesse sur les versants rocailleux de la montagne. La pauvre bête l’a protégée. Une fois rétablie à l’hôpital, où le médecin lui a « enlevé plein de morceaux de ferraille », la vieille dame n’a rien changé à ses habitudes. Elle continue à braver les dangers du mont Semmama, où groupes djihadistes et armée tunisienne se livrent à une guerre d’usure.

Chaque jour, Hasniya, malgré son âge et les séquelles de sa blessure, s’en va donc gratter de ses mains calleuses ce massif de la Tunisie du Centre-Ouest, non loin de la frontière algérienne, pour y arracher des bouquets de romarin et d’alfa, sources de menus revenus. « J’ai peur, confesse-t-elle, mais je n’ai guère le choix. Il faut bien nourrir la famille. » Murs chaulés de blanc, sol en ciment nu, mobilier réduit à des chaises en plastique : la pièce de sa maisonnée où elle reçoit dit la rusticité du lieu, la précarité de son village de Ouassaïa.

Agrippé au flanc des contreforts du mont Semmama, à l’est de Kasserine, un des hauts lieux de la révolution de 2011, le hameau de Ouassaïa résume le dilemme de cette région frontalière, écartelée entre péril sécuritaire et impératif de la survie économique.

Depuis le renversement de la dictature de Ben Ali, un foyer d’insurrection djihadiste a éclos sur ces hauteurs accidentées, alimenté par les filières algériennes liées à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ou par les réseaux de l’organisation Etat islamique (EI) connectés à la Libye.

Mines enfouies sur les sentiers

Six ans après leur émergence, ces maquis tunisiens – comptant vraisemblablement entre 150 et 200 hommes – ont été contenus par les forces de sécurité. Les affrontements dans cette région proche de l’Algérie ont causé la mort de 127 djihadistes et de 118 soldats, gendarmes ou policiers, selon une comptabilité établie par le chercheur Matt Hebert au printemps de cette année. Affaiblis, les groupes insurgés n’ont toutefois pas disparu, témoignant d’une indiscutable résilience. Et dans cette guerre silencieuse, les civils payent un lourd tribut.