Sandrine Morel – Le monde
Sur les images qui défilent, sur le mur du Palais des congrès de Barcelone, on voit Manuel Valls, enfant, à Barcelone dans le quartier de Horta où il passait ses vacances, avec son père peintre, puis avec sa famille réunie à Paris ; jeune, en compagnie de Michel Rocard ; maire à Evry, visitant une salle de classe ; premier ministre à Matignon ; puis aux côtés de Michelle Obama, de Jean-Claude Juncker ou de Felipe Gonzalez…
A cinq mois des élections municipales de Barcelone du 26 mai 2019, l’ancien premier ministre français a présenté sa candidature, jeudi 13 décembre au soir, avec un mélange de solennité et de fougue, en présence de membres anonymes de la société civile venus lui donner son soutien et de la porte-parole du parti libéral Ciudadanos, Inès Arrimadas.
Brandissant le thème qui lui est cher de la sécurité, promettant de renforcer la projection internationale de la ville, de défendre l’activité économique, de réanimer son offre culturelle, et d’en faire, aussi et peut-être surtout, une barrière face à l’indépendantisme, il s’en est pris autant à la gestion de l’actuelle maire, Ada Colau, ancienne activiste du droit au logement proche du parti de la gauche radicale Podemos, qu’au risque d’une possible victoire des indépendantistes, qui voient dans la capitale catalane la pièce manquante à la stratégie sécessionniste. « D’ici dépend le futur de Barcelone, de la Catalogne du reste de l’Espagne et de l’Europe », a conclu Manuel Valls. Souriant, détendu, devant une salle comble et conquise.
Mieux connaître la ville où il est né
Lorsqu’il a annoncé sa candidature, à la fin du mois de septembre, ses adversaires politiques lui ont reproché sa méconnaissance de la ville et son « parachutage », perçu comme « opportuniste », cherchant à compenser « l’échec » de sa carrière politique en France. Depuis, il n’a cessé de visiter les quartiers de Barcelone, arpenter les marchés et multiplier les rendez-vous avec des personnalités locales, au moins autant pour se faire connaître des habitants que pour mieux connaître cette ville où il est né mais où il a finalement très peu vécu.
Il a aussi écrit un livre, Barcelona, vuelvo a casa (« Barcelone, je rentre à la maison », Espasa, non traduit), paru le 30 octobre, dans lequel il explique sa décision de se présenter aux élections municipales, revient sur ses origines catalanes et son expérience politique en France, et ébauche à grands traits sa vision pour Barcelone. Il l’a présenté en compagnie de l’écrivain péruvien installé à Madrid Maria Vargas Llosa, lequel s’est aussi beaucoup positionné contre l’indépendantisme catalan.
Bien décidé à mener une lutte acharnée pour conquérir la mairie de Barcelone, les chances de Manuel Valls semblent encore minces. Les derniers sondages, d’octobre, placent Ciudadanos – le seul parti qui soutient sa plateforme pour le moment – en troisième position, avec 15,5 % des voix, derrière le parti d’Ada Colau et l’indépendantiste de la Gauche républicaine (ERC), Ernest Maragall. Surtout, la double division de l’échiquier politique, non seulement entre droite et gauche, mais aussi entre indépendantistes et unionistes, lui est défavorable.
Malgré son souhait de se présenter comme un candidat indépendant et transversal, il est associé à Ciudadanos, dont les positions très dures contre l’indépendantisme l’ont placé sur la droite de l’échiquier politique. Il est aussi rattrapé par l’image de dirigeant politique autoritaire venue de France. Ce qui complique ses chances de pouvoir « unir » les partis « constitutionnalistes ».
Cible de manifestations hostiles
S’il provoque la curiosité des médias, il est aussi la cible de manifestations hostiles. Le 4 décembre, l’ancien maire et député d’Evry s’est ainsi fait chahuter, lors de la présentation publique de sa première « Lettre » aux Barcelonais, centrée sur le thème de la sécurité. Sur une place du Raval, quartier particulièrement touché par le phénomène des « narco-squats », il comptait s’adresser aux habitants avec un micro, debout devant un pupitre, pour lancer sa précampagne. Cependant, une trentaine de personnes – des indépendantistes demandant la libération des dirigeants en prison préventive, ainsi qu’un collectif de prostituées – ont manifesté aux cris de « fascistes » ou « moins de police, plus d’éducation ». Alors que la criminalité, en particulier les vols, a augmenté de 19 % depuis le début de l’année à Barcelone, M. Valls a promis dans cette première ébauche de programme « d’incorporer 1 000 à 1 500 agents en quatre ans » s’il est élu ou encore « de faire la promotion sans complexe du civisme ».
« Ceux qui dénoncent ici le fascisme sont ceux qui le provoquent dans d’autres régions d’Espagne », a-t-il répondu aux manifestants, en référence à la montée du parti d’extrême droite Vox, qui a fait irruption au Parlement andalou avec 11 % des voix le 2 décembre, en basant une grande partie de sa campagne sur le thème de la défense de l’unité de l’Espagne.
Le lendemain, il a encore été sifflé et insulté par des étudiants venus l’empêcher de participer aux commémorations des quarante ans de la Constitution au Teatre del Liceu. L’important, pour M. Valls, est d’occuper l’espace médiatique, afin d’être identifié par les électeurs comme le seul opposant sérieux à Ada Colau et Ernest Maragall.
Bête noire des indépendantistes, depuis qu’il a pris position contre la sécession lors du référendum interdit d’octobre 2017 et a critiqué le « populisme » des dirigeants catalans, Manuel Valls se prépare pour une précampagne musclée. Et loin de lui faire peur, il semble enthousiaste à l’idée de monter sur le ring. Déjà prêt à encaisser les coups. Et lançant un avis clair : « A ceux qui me diront de rentrer chez moi, je dirai : j’y suis déjà. »