Cécile Ducourtieux et Blaise Gauquelin – Le Monde
Il s’agit d’un document particulièrement embarrassant pour le premier ministre tchèque. Andrej Babis est dans une situation de conflit d’intérêts au regard de la loi européenne, selon une note du service juridique de la Commission de Bruxelles en date du 19 novembre, que Le Monde a pu consulter. Ce service estime qu’il est urgent de mettre un terme au mélange des genres orchestré par M. Babis, un milliardaire né en 1954, accusé de mêler ses affaires personnelles à la politique de son pays, membre de l’Union européenne (UE) depuis 2004.
Les juristes de la Commission répondent à une requête très argumentée d’un autre service interne aux services bruxellois, la « DG Regio », chargée des fonds structurels, requête qu’a également pu consulter Le Monde, et qui conclue que M. Babis, qui dirige le gouvernement tchèque depuis juin, « apparaît comme le seul bénéficiaire » de deux trusts dans lesquels ont été placées ses parts des entreprises Agrofert et Group Agrofert.
Cette dernière entreprise possède elle-même des participations dans 200 à 300 sociétés opérant dans les secteurs agricoles, agroalimentaires ou chimiques. Au total, ces compagnies ont reçu « une quantité significative » de fonds structurels européens, dont « approximativement 42 millions d’euros en 2013 et 82 millions d’euros en 2017 », relève le service juridique de la Commission.
Pour son analyse, il s’appuie sur un règlement, publié le 30 juillet 2018 au Journal officiel de l’UE, précisant les règles financières régissant le budget de cette dernière. L’article 61, traitant spécifiquement des « conflits d’intérêts » liés à l’usage de l’argent européen, est une version plus précise d’un article précédent traitant du même sujet.
L’exercice de ses fonctions est « compromis »
Adopté à la demande du Parlement de Strasbourg, qui entendait durcir les règles d’attribution des fonds européens, il stipule que « les acteurs financiers (…) et les autres personnes, y compris les autorités nationales (…) intervenant dans l’exécution budgétaire en gestion directe, indirecte ou partagée, y compris les actes préparatoires à celle-ci, ainsi que dans l’audit ou le contrôle, ne prennent aucune mesure à l’occasion de laquelle leurs propres intérêts pourraient être en conflit avec ceux de l’UE. »
Or, estime le service juridique de la Commission, M. Babis, en temps que premier ministre a « l’opportunité de diriger et d’influencer les prises de décision liées à la mise en œuvre des fonds venant du budget de l’UE ». M. Babis préside même le « Conseil des fonds structurels », l’organisme tchèque qui décide de la distribution de ces fonds.