Zeina ANTONIOS | OLJ
La formation du gouvernement tourne en rond depuis maintenant six mois. Sitôt le fameux « nœud chrétien » dénoué, c’est le problème des sunnites proches du 8 Mars qui fait parler de lui depuis quelques jours, à l’instigation du Hezbollah, lequel se pose en quelque sorte en défenseur des députés sunnites proches de l’axe Damas-Téhéran. Samedi, un discours incendiaire du secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, est venu compliquer la donne. Visiblement très remonté, il a réitéré son soutien aux sunnites du 8 Mars et tiré à boulets rouges sur Saad Hariri, le chef des Forces libanaises Samir Geagea, ainsi que sur le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, renvoyant à ces derniers leur accusation d’obstructionnisme en matière de formation du gouvernement. Hassan Nasrallah s’est par ailleurs défendu de vouloir retarder lui-même la mise en place du cabinet par le biais des revendications des sunnites pro-Assad, à l’heure où d’aucuns établissent le lien entre le blocage dans la formation du cabinet et l’entrée en vigueur des sanctions américaines imposées au Hezbollah et à l’Iran.
Contacté par L’Orient-Le Jour, un responsable au sein du courant du Futur s’est dit perplexe face à la teneur du discours de Hassan Nasrallah. « Le secrétaire général du Hezbollah dit que ses prises de position sont motivées par des circonstances internes relatives à sa volonté et celle de ses alliés. Nous continuons toutefois à penser qu’il veut absolument un gouvernement avant l’application des sanctions américaines. Nous nous demandons ce qu’il pourra tirer du retard de la formation du gouvernement en appuyant les sunnites dits “indépendants” », a confié le responsable. « Il n’est pas clair non plus comment l’Iran pourra profiter du retard dans la naissance du gouvernement au Liban. Mais ce qui est certain, c’est que sayyed Nasrallah se trouve aujourd’hui en confrontation avec tout le monde », a-t-il ajouté.
Commentant la médiation dans le cadre de ce dossier du ministre sortant des Affaires étrangères et chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui s’était réuni avec Hassan Nasrallah vendredi dernier, le responsable du Futur estime qu’elle « ne mènera à rien ». « Toute solution basée sur le discours de Hassan Nasrallah ne sera pas acceptée par Saad Hariri », a dit le responsable.
Lors de leur rencontre, le leader du Hezbollah et le chef du CPL s’étaient entretenus du « nœud sunnite ». Les deux parties se sont accordées sur l’importance de « renforcer l’unité nationale » et d’éviter au pays une « provocation communautaire ». Le président de la République Michel Aoun a d’ailleurs assuré samedi dernier lors d’un entretien avec le patriarche melkite catholique, Youssef Absi, qu’il n’épargnera aucun effort afin d’éliminer toutes les entraves à la formation du gouvernement, ajoutant que « défaire les nœuds » nécessitait du courage et de la patience, mais qu’une solution sera trouvée « parce que attendre est une perte de temps ».
Saad Hariri, attendu incessamment à Beyrouth, n’a pour sa part toujours pas commenté les propos de Hassan Nasrallah, mais il devrait s’exprimer demain à 13h30 à la Maison du Centre, lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il évoquera « les nouveaux développements et évolutions » concernant la formation du futur gouvernement.
Nasrallah « énervé »
Reprenant l’image biblique de Samson détruisant le temple des Philistins et emportant ses ennemis avec lui vers le trépas, un responsable au sein du Hezbollah interrogé par L’Orient-Le Jour a assuré que Hassan Nasrallah n’a « nullement l’intention de procéder à ce genre de comportements ». « Nous voulons juste dénoncer une situation illogique. Nous pensons tout simplement que tout le monde doit être traité sur un même pied d’égalité », a dit le responsable, tout en dénonçant « un système où certains profitent et d’autres pas ». « Il y a des chrétiens, des alaouites ou des sunnites qui ne sont pas représentés au gouvernement, c’est un système qui a des défauts », a-t-il ajouté.
« Le secrétaire général est très énervé en ce moment, le climat est tendu (…) Qui a dit que nous n’avions pas évoqué les sunnites indépendants avant ? Mais on ne peut pas tout régler en même temps. On a attendu que les autres nœuds soient réglés avant (…) La solution est de ne pas être égoïste », a souligné le responsable chiite, qui a en outre salué la médiation de Gebran Bassil.
Les sunnites du 8 Mars insistent
Les principaux intéressés, les députés sunnites du 8 Mars, n’ont pas manqué de réitérer leurs demandes le week-end dernier. Ainsi, le député de Denniyé, Jihad el-Samad, a déclaré samedi à la chaîne al-Jadeed que « les sunnites indépendants représentent les sunnites qui ne sont pas d’accord avec le courant du Futur et qui ont le droit d’être représentés au gouvernement ». « Nous sommes tournés vers la Palestine et nous faisons partie des sunnites qui appartiennent à la résistance (contre Israël) », a-t-il dit.
M. Samad était en tournée dans la région de Denniyé en compagnie du député de Tripoli Fayçal Karamé et du ministre des Travaux publics Youssef Fenianos. Fayçal Karamé a déclaré à l’occasion que Saad Hariri était responsable de ce dernier obstacle, pour « être passé outre les demandes des députés sunnites indépendants ».
« La communauté sunnite est prise en otage depuis des années et a été éloignée de toute pensée ou action résistante », a pour sa part déclaré le député de Baalbeck-Hermel Walid Succariyé, qui participait aux célébrations de la « Journée du martyr » du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth.
Les réponses à Nasrallah
Abondant dans le sens de Walid Joumblatt, qui avait réagi samedi au discours du secrétaire général du Hezbollah par un message de paix (lire par ailleurs), le Rassemblement démocratique, présidé par le député Teymour Joumblatt, a refusé hier d’entrer dans une polémique avec Hassan Nasrallah à l’issue d’une réunion extraordinaire, se contentant de réitérer les craintes exprimées par son père Walid Joumblatt au niveau de la situation socio-économique.
Mais d’autres ont haussé le ton face au leader du Hezbollah. Michel Moawad, député de Zghorta, a dénoncé dans un tweet les tentatives de Hassan Nasrallah « de saper la Constitution et le partenariat ». « Personne n’a le droit d’imposer sa vision aux autres », a-t-il dit. L’ancien député Farès Souhaid a évoqué un coup d’État contre la Constitution et l’accord de Taëf, appelant le président de la République et le Premier ministre à « signer le décret de formation du gouvernement ou à démissionner ».
« Après le dernier discours de Nasrallah, nous attendons du président de la République qu’il nous dise dans quelle république nous vivons et qui décide de ce qui est permis et de ce qui ne l’est pas », a écrit pour sa part le député FL de Jbeil, Ziad Hawat, sur son compte Twitter.
Quant à l’ancien ministre Achraf Rifi, il a tiré à boulets rouges sur le secrétaire général du Hezbollah, estimant qu’il « cherche à imposer une tutelle aux institutions constitutionnelles et à paralyser la Constitution par la force des armes et de l’intimidation ».