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Le déficit public libanais explose : +234 % en un an

Kenza OUAZZANI et Philippe HAGE BOUTROS | OLJ

 

 

Le déficit public a atteint 3,04 milliards de dollars sur les six premiers mois de l’année, en hausse de 234 % par rapport à la même période de l’an dernier, selon le ministère des Finances. Une progression très inquiétante, au moment où le Liban s’est engagé à assainir ses finances publiques lors de la conférence dite CEDRE, à Paris en avril, en réduisant d’un point de pourcentage par an le ratio déficit public / PIB pendant cinq années consécutives. « Même s’il faut relativiser cette hausse, dans la mesure où le déficit public en 2017 a été exceptionnellement bas, la tendance est inquiétante », relève pour L’Orient-Le Jour le président du Conseil économique et social des Kataëb, Jean Tawilé.

Le déficit public avait en effet atteint 3,76 milliards de dollars en 2017, soit une baisse de 24 % par rapport au niveau record atteint en 2016 (4,94 milliards). « En 2017, les recettes fiscales avaient été dopées par la taxation des bénéfices exceptionnels réalisés par plusieurs banques suite aux opérations d’ingénierie financière lancées par la Banque du Liban (BDL) en 2016 », rappelle Jean Tawilé. « Si on oublie cet exercice, on réalise que le déficit budgétaire n’a pas cessé de grimper depuis 2011 », alerte-t-il, craignant que le Liban ne dépasse la barre des 6 milliards de dollars à la fin de l’année. « Nous serons alors proches d’un ratio déficit public / PIB de près de 11 %, bien supérieur aux projections de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, toutes deux inférieures à 10 % », ajoute-t-il.

Déficit du solde primaire

Selon les chiffres du ministère des Finances, le déficit représente 33,82 % des dépenses publiques totales, contre 13,03 % un an plus tôt. Les dépenses publiques ont augmenté de 30 % en glissement annuel à 8,98 milliards de dollars fin juin.

Les revenus de l’État ont, eux, totalisé environ 5,94 milliards de dollars, en baisse de 2,6 % en glissement annuel. Les recettes fiscales ont diminué de 2,8 %, à 4,57 milliards de dollars, tandis que les recettes non fiscales ont baissé de 14 % à 860 millions de dollars. Le solde primaire – c’est-à-dire hors service de la dette, lequel s’élève à 3,3 milliards de dollars fin juin – atteint un déficit de 155 millions de dollars, en hausse de 229 % par rapport à la même période en 2016.

Pour Jean Tawilé, le principal facteur qui explique ce dévissage est la grille des salaires et les recrutements dans la fonction publique. « Le coût de la grille, qui avait été estimé à 800 millions de dollars, se situe finalement autour de 1,4 milliard, tandis que les chiffres qui circulent indiquent que plus de 5 000 fonctionnaires ont été recrutés cette année, hors services de sécurité », souligne-t-il. Il ajoute que le choix d’alourdir la fiscalité pour financer le relèvement de la grille a finalement fait plus de mal que de bien à l’économie alors que la croissance ne devrait pas dépasser les 1 %, selon la Banque mondiale et le FMI, qui ont tous les deux revu leurs prévisions à la baisse cette année. « L’État aurait été plus inspiré de lutter contre l’évasion fiscale qui a représenté 4,9 milliards de dollars en 2017 contre 4,2 milliards un an plus tôt », juge-t-il, citant des estimations publiées par Bank Audi au cours de l’été.

Capacité à gérer

Pour le directeur du département de recherche de la Bank Audi, Marwan Barakat, « le déséquilibre des finances publiques est la principale faiblesse de l’économie libanaise, avec un ratio déficit public / PIB de 10 % cette année, soit un des dix plus importants du monde ». Il ajoute qu’un rééquilibrage « en douceur » des finances publiques représente « le plus grand défi à relever pour que le pays préserve sa résilience sur les plans financier et monétaire » mais que des solutions existent pour « rationaliser les dépenses et optimiser les revenus ».

Au-delà des chiffres, la hausse du déficit pose surtout des questions concernant la capacité des dirigeants du pays à respecter les engagements pris par le gouvernement sortant à la CEDRE, voire à simplement gérer les finances publiques. « Entre 2005 et 2017, les politiques se sont réfugiés derrière le fait que le budget de l’État n’était pas voté – les gouvernements successifs utilisaient la règle du douzième provisoire pour se financer. En 2017, les mêmes politiques ont pensé que le fait de recommencer à voter des lois de finance allaient les dispenser d’être rigoureux dans leur gestion », se désole un expert sous couvert d’anonymat.

« S’agissant de la CEDRE, il est pour l’instant difficile de prédire quel impact aura la hausse du déficit sur la volonté des soutiens du pays de débloquer les 11 milliards de dollars de prêts et de dons pour réhabiliter les infrastructures du pays, dans la mesure où il n’y a pas de mécanisme de suivi formellement institué », ajoute l’expert. « Dans tous les cas, la priorité est de former un gouvernement de toute urgence et de s’assurer que ce dernier prenne impérativement des mesures fortes pour rectifier le tir », conclut Jean Tawilé, avant de souligner que la publication des chiffres de juin n’aura pas d’impact immédiat sur la situation financière et monétaire du pays, qui possède encore des pare-feux (voir encadré).