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Générateurs privés : le conflit autour des compteurs s’envenime

Caroline HAYEK et Anthony SAMRANI – L’Orient-Le Jour

Les sanctions américaines ne devraient pas suffire à provoquer un virage à 180 degrés de la politique étrangère iranienne.

Les Américains avaient un objectif, ils ont désormais une stratégie. Il y a six mois, lors de la première vague de sanctions américaines contre l’Iran, Washington avait clairement affiché son intention de pousser la République islamique à « faire un virage à 180 degrés » dans sa politique au Moyen-Orient. La fin de « l’interventionnisme iranien » était citée, au même titre que le renoncement au programme nucléaire et la prolifération de missiles balistiques, comme l’une des douze conditions nécessaires à la conclusion d’un « meilleur accord » avec Téhéran. Mais dans le même temps, Washington donnait des indications contradictoires sur sa volonté de rester à moyen terme en Syrie et sur ses objectifs dans la région, alors même que l’influence iranienne au Moyen-Orient dépend très largement de son axe irako-syro-libanais.

Six mois plus tard, Washington est sorti du bois. Alors que la deuxième vague de sanctions est entrée en vigueur lundi, elle s’accompagne désormais d’une vraie stratégie, dont l’efficacité peut toutefois être discutée, pour contrer l’Iran dans la région. Le cœur de ce plan consiste à lier la présence, dans l’Est syrien, des troupes américaines, qui ont la mainmise avec leurs alliés kurdes sur un tiers du territoire, au départ des troupes iraniennes. « Nous ne partirons pas de Syrie tant que les troupes iraniennes seront en dehors de leurs frontières et ceci inclut les supplétifs et les milices », avait affirmé John Bolton, conseiller à la Sécurité nationale le 24 septembre dernier. « Notre objectif-clef est de repousser toutes forces sous commandement iranien hors de Syrie. Il y a 2 500 gardiens de la révolution en Syrie et Kassem Souleimani gère près de 10 000 combattants chiites », a confirmé à L’Orient-Le Jour Brian Hook, représentant spécial des États-Unis pour l’Iran et conseiller politique principal auprès du secrétaire d’État américain, lors d’une conférence téléphonique lundi avec des journalistes.

Les Américains ne sont pas, pour l’instant, dans une logique agressive sur le terrain syrien, dans le sens où ils ne cherchent pas l’affrontement direct avec les Iraniens et leurs obligés. « Le président Trump a toutefois promis une réponse ferme à toute attaque contre nous dans la région », note Brian Hook. Washington a recours plutôt à une espèce de package deal adressé à tous les autres belligérants du conflit, avec en tête le régime syrien et la Russie, qui pourrait se résumer ainsi : “Si vous voulez la paix, débarrassez-vous des Iraniens.” Les États-Unis comptent utiliser leur présence dans l’Est syrien, territoire essentiel à la viabilité du régime en raison de ses ressources en hydrocarbures et de ses terres agricoles, et leur participation à la reconstruction, comme des leviers pour négocier avec le camp loyaliste. « La présence des milices iraniennes est un frein au fait de parvenir à une stabilité en Syrie. Nous retiendrons l’aide à la reconstruction destinée à tout territoire sous contrôle du régime Assad comme une condition pour accomplir nos objectifs », confirme Brian Hook.

Deux parrains plutôt qu’un seul

L’efficacité de la dimension politique du plan américain dépend de la façon dont les acteurs régionaux vont accepter de marginaliser l’Iran. Moscou, maître du jeu en Syrie, s’est clairement distancié de son allié iranien au cours de ces derniers mois, mais l’alliance entre les deux parrains du régime repose en partie sur leur volonté commune de contrer l’influence américaine dans la région. Rien n’indique ainsi, pour l’instant, que Moscou soit prêt à lâcher les Iraniens pour les beaux yeux américains. De la même façon, le régime semble encore considérer qu’il a intérêt à dépendre de deux parrains plutôt que d’un seul et n’a pas montré une quelconque volonté de prendre ses distances avec l’Iran, malgré les appels du pied des pays du Golfe qui lui ont fait comprendre qu’il obtiendrait en échange une normalisation de leurs rapports. Le plan américain est également menacé par les projets turcs de reprendre la main sur les territoires aux mains des Kurdes du YPG – considérés comme un groupe terroriste par Ankara – dans l’Est.

Bien que jamais mentionné par les responsables américains, Israël est partie intégrante de son plan d’action. Si l’État hébreu défend avant tout ses propres intérêts en Syrie, et ne peut pas être considéré comme un vassal américain, il n’en reste pas moins qu’il devient de facto le bras armé du plan anti-iranien en bombardant régulièrement les installations iraniennes en Syrie. La détermination israélienne à frapper les positions iraniennes jusqu’à ce que les Iraniens et leurs alliés se retirent de Syrie fait le jeu des Américains, en renforçant leur pouvoir de dissuasion sans pour autant les obliger à entrer en confrontation directe avec Téhéran.

En parallèle, Washington mise sur le pouvoir de nuisance des sanctions pour exercer sur le régime une pression économique telle qu’il serait obligé de fermer une partie du robinet, en ce qui concerne le financement de ses supplétifs. « Nous priverons ainsi le régime iranien de milliards et de milliards de dollars qu’il aurait autrement dépensés en Syrie et en Irak », affirme Brian Hook.

Selon le représentant américain, le régime iranien octroie 700 millions de dollars par an au Hezbollah, a déjà donné des centaines de millions aux houthis et plus de 4,6 milliards à Bachar el-Assad depuis le début du conflit en 2011. Ces chiffres pourraient être revus à la baisse du fait des sanctions américaines, notamment parce que l’Iran fait face à une crise intérieure où des slogans mettant en question son engagement extérieur sont de plus en plus audibles. La pression financière ne devrait toutefois pas être décisive dans la volonté d’endiguer l’influence iranienne dans la région, puisque cette stratégie a déjà montré ses limites par le passé. Dans un long rapport publié la semaine dernière et intitulé Le caractère illogique du retour des sanctions américaines contre l’Iran, l’International Crisis Group met en évidence le fait que « rien dans l’histoire de la République islamique ne laisse suggérer que les sanctions vont entraîner un changement important dans sa politique étrangère ». Pour le think tank américain basé à Bruxelles, « la politique de soutien aux acteurs non étatiques est restée en grande partie cohérente dans les périodes de conjoncture économique favorable et défavorable ». Les sanctions ne semblent avoir produit « aucun changement tangible dans le soutien de l’Iran au Hezbollah au Liban ou au Hamas et au Jihad islamique en Palestine », insiste le rapport. Pire, il note que l’Iran « agit de manière plus responsable lorsque son économie fonctionne mieux ».

PIB de l’Autriche

16 milliards de dollars, soit 3 % du PIB de l’Iran, étaient consacrés aux dépenses militaires en 2017, selon le rapport, mais tout porte à croire que le financement des différentes milices dans la région, qui dépendent directement des gardiens de la révolution, n’est pas comptabilisé dans ce budget. Quoi qu’il en soit, le pouvoir d’influence de Téhéran au Moyen-Orient ne dépend pas exclusivement de ses moyens financiers. La politique iranienne est finalement peu coûteuse par rapport à ses résultats, puisque l’Iran peut se vanter d’être depuis plusieurs années déjà un acteur dominant au Liban, en Syrie, en Irak, et dans une moindre mesure au Yémen. C’est la capacité de Téhéran à créer ou à soutenir des milices locales qui lui sont fidèles mais qui s’intègrent, à des degrés variables, dans le tissu social des pays concernés qui fait sa force. Autrement dit, les sanctions américaines peuvent assécher une partie du robinet iranien en direction du Hezbollah mais ne peuvent pas suffire à forcer Téhéran à abandonner son meilleur « soldat » dans la région.

L’Iran a connu une phase d’expansion dans la région au cours de ces dernières années, qui s’est accompagné d’un sentiment d’« hubris » lui laissant penser qu’il pouvait profiter du relatif retrait des Américains pour devenir la puissance dominante au Moyen-Orient. Les diplomates iraniens se vantaient publiquement de contrôler « quatre capitales arabes ». Téhéran est aujourd’hui dans le triple viseur des Américains, des Israéliens et des pétromonarchies du Golfe. S’ils auront bien du mal à l’obliger à opérer un virage à 180 degrés de sa politique étrangère, tant celle-ci est considérée comme existentielle pour le régime, ils pourraient la ramener à sa réalité politique. « Nous disons aux Iraniens : “Vous avez le PIB de l’Autriche et vous voulez contrôler le Moyen-Orient” », confiait à L’OLJ une source diplomatique occidentale il y a quelques mois. « L’Iran pourrait bien faire le choix de se retirer tactiquement ou d’arrêter certaines activités, comme il l’a déjà fait par le passé », analyse le rapport du Crisis Group. Autrement dit, revenir à une politique plus prudente, plus souterraine, plus en adéquation avec les moyens iraniens, celle-là même qui a permis à Téhéran de grappiller du terrain pendant des décennies.